yennayer (par Karim Achab)
Le nouvel an Amazigh : pourquoi célébrer Yennayer ?
Un philosophe définissait l’Histoire comme tout ce qui nous reste lorsque nous avons tout perdu. Pour que l’identité, la culture, et par là même toutes les particularités de tout un peuple, ne rejoignent pas le cimetière de Histoire, il convient de maintenir, entretenir et raviver toutes ses composantes.
Une telle tâche n’a rien d’ostrasisme : l’Humanité et l’Universel n’étant que la somme des différentes composantes qui constituent ce Monde dans lequel nous vivons. Par ailleurs, étant donné le jeu vérouillé imposé par les différents pouvoirs successifs au sein de Tamazgha, la patrie de notre Peuple, de notre Culture, de notre Histoire et de notre Identité, la Diaspora Amazighe se trouve aujourd’hui de fait investie d’une part de responsabilté liée à la sauvegarde et à la revivification de sa propre identité et de sa propre culture en attendant des lendemains meilleurs. Par conséquent, c’est dans ce double cadre bien défini que s’inscrit la célébration de Yennayer (le nouvel an Amazigh) par la Diaspora Amazighe.
Qu’est-ce que Yennayer ?
Yennayer est la fête célébrant le passage au nouvel an par les Imazighen. Ce jour correspond au 13 janvier du calendrier grégorien, devenu universel. À l’instar des autres civilisations dans le Monde (Russe, chinoise, irlandaise, arabe etc.), les Imazighen avaient donc leur propre calendrier bien ancien, basé à la fois sur les changements de saisons et les différents cycles de la végétation qui déterminent les moments cruciaux à l’agriculture, et sur les positionnements des astres comme la lune et le soleil. À l’Arrivée des Romains, un autre calendrier (le calendrier Julien), allait se substituer au calendrier autochtone, qui ne répondait plus aux nouvelles saisons nées des innovations agricoles.
Le 13 janvier du calendrier Julien (institué en 45 av. J.-C. par l’Empereur Jules César) correspond donc au 1er janvier du calendrier grégorien actuel (instauré par le pape Grégoire XIII en 1582).
Pourquoi le 13 janvier 2954 ?
L’avènement de Yennayer de l’an 951 avant Jesus-Christ du calendrier grégorien correspond à un événement politique de portée incommensurable pour les Imazighen. Nombreux dans les différentes armées des Pharaons, les Imazighen allaient peu à peu s’affirmer et influencer les Rois Pharaons. C’est ainsi qu’ils réussirent à arracher leur droit à observer leur propres rites comme les cultes funéraires, pratique spirituelle d’importance capitale à l’époque. Il en fut une qui ne pouvait passer inaperçue, le rite funéraire organisé à la mort de Namart, père de Sheshanq I qui allait bientôt être le fondateur de la XXIIème dynastie pharaonique.
En effet, en l’an 950 Av.J., à la mort du Pharaon Psoussenes II, un Amazigh répondant au nom de Sheshnaq accède au statut de Pharaon d’Egypte en soumetant tout le Delta du Nil, ainsi que la grande prêtrise égyptienne sous son autorité, et fonda sa capitale à Bubastis. Auparavant, Chechanq I régnait sur un territoire allant de la partie orientale de la Libye actuelle jusqu’au delta du Nil. il régna sur l’Egypte en tant que Pharaon de 950 jusqu’à 929 av. J.-C.
Soussieux de respecter la tradition pharaonique, son fils épousa la princesse Makara, fille du défunt Pssossenes II. En commémorant cet événement, Yennayer devient également le symbole des retrouvailles entre les Imazighen et leur histoire plusieurs fois millénaire, de laquelle ils ont été injustement spoliés depuis maintenant deux millénaires.
La célébration de yennayer
Pour les Imazighen, Yennayer est d’abord une porte qui s’ouvre sur le nouvel an et appelée ’tabburt useggwass’ (la porte de l’année). Sa célébration s’explique par l’importance accordée aux rites et aux superstitions de l’époque dont certaines subsistent encore de nos jours. La période en question attire particuliérement l’attention car la saison correspond à l’approche de la rupture des provisions gardées pour l’hiver. Il convient donc de renouveller ses forces spirituelles en faisant appel aux rites. À cette époque de l’année, le rite doit symboliser la richesse. Ainsi, pour que la nouvelle année entamée soit plus fructifiante et la terre plus fertile, il convient de se purifier et de nettoyer les lieux. On obéit également aux lois rituelles tel que le sacrifice d’un animal (Asfel) sur le seuil de l’année, comme on le fait encore de nos jours sur les fondations d’une nouvelle batisse. Le rituel asfel symbolise l’expulsion des forces et des esprits maléfiques pour faire place aux esprits bénéfiques qui vont nous soutenir l’année durant. Si les moyens le permettent, seront sacrifiés autant de bêtes qu’il y a de membres de famille. La tradition a retenu le sacrifice d’un coq par homme, une poule par femme et les deux ensemble pour les femmes enceintes afin de ne pas oublier le futur bébé. A défaut de viande, chaque membre de famille sera représenté par un oeuf surmontant une couronne de pâtes.
Le dîner ce jour là sera servi tard et se doit d’être copieux, ce qui aux yeux des Imazighens augurera une année abondante. La viande de l’animal sacrifié y sera servie conformément au rite. Certains ne peuvant se permettre un tel sacrifice, servent de la viande sèche, comme acedluh, gardée pour de pareilles occasions : un Yennayer sans la viande fût-elle sèche n’en était pas un ! Lors du dîner, une cérémonie est prononcée afin de préserver les absents et de faire que l’année soit bonne. Les absents ne seront pas les oubliés du repas : des cuillères disposées par la mère symbolisent leur présence et une proportion symbolique leur sera laissée dans le palat collectif, sensé rassembler toutes les forces de la famille.
Après le repas il convient de vérifier si tout le monde a mangé à sa fin. C’est la maîtresse des lieux internes (la grand-mère ou la mère) qui pose la question aux enfants pour savoir s’ils ont mangé à leur faim : la réponse est necca neswa (oui nous avons mangé et sommes rassasiés). La maîtresse des lieux n’oublie pas non plus les proches ou les voisins, lesquelles lui rendent également des aliments différents : il n’est pas de coutûme de laisser balader des ustensils vides le jour de laâwacher (jour béni).
La fête garde de sa saveur pendant les quelques jours qui suivent l’événement. Les nouveaux ustensils rangés après la dernière célébration vont redescendre de tareffit (étagère), on prépare lesfenj (des beignets), tighrifin (crêpes), et tout autre plats et gateaux rappelant une saveur rare fût-elle importée. Seront également au rendez-vous les fruits secs amassés ou achetés le reste de l’année, figues sèches, amandes, noisettes, dattes, etc.
De nos jours
Dans certaines régions d’Algérie, Oran, Beni Zennassen, etc., la célébration de Yennayer n’a rien perdu de sa fraicheur ni de son authenticité. Chez ces dernier, certains s’abstienennet de manger des aliments épicés ou amers par peur de présager une année du même gout. Le repas de Yennayer est conditionné par les récoltes selon les régions mais aussi par les moyens des uns et des autres. Les aliments servis vont symboliser la richesse, la fertilité ou l’abondance. Il est ainsi des irecman (bouillie de blé et de fèves) ou le coeur du palmier chez les beni-Hawa : pas question de rater le repas de bénédiction qu’est celui de Yennayer. Le bon présage de Yennayer fait aussi que l’on lui associe d’autres événements familiaux comme la première coupe de cheveux du dernier né ou le mariage. Récemment encore, on disposait à l’extérieur ou sur le toit des ustensils pleins de sel dont le nombre symbolise les mois de l’année, les filles s’amusent à marier leur poupées, on envoie les enfants aux champs afin de cueillir eux-même fruits et légumes.
Yennayer dans la Diaspora
En terre d’exil, loin des nôtres et des lieux de notre enfance, Yennayer est d’abord l’occasion de nous rencontrer et fêter la nouvelle année dans un bain culturel amazigh. C’est également l’occasion pour nous de nous rappeler notre devoir de lutter pour la survie de notre culture et de notre identité, et d’affirmer ainsi notre présence aux côtés de nos frères et sœurs qui luttent sur place dans un environement qui lui est politiquement hostile.
source: Karim Achab (Journal le Matin)
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