CULTURE:
Entretien avec Mouloud Sehaki
«Tamazight a besoin de l’apport de tous ses enfants»
‘’Une poignée de devinettes’’ est le titre du livre qu’a mis sur le marché, à la mi-août, le jeune écrivain Mouloud Sehaki, chez les éditions Richa Elsam. Un premier livre de 65 pages de devinettes tirées du patrimoine local. Mouloud Sehaki a bien voulu répondre à nos questions.
La Dépêche de Kabylie : Pour commencer, pourriez-vous vous présenter aux lecteurs de notre quotidien ?
Mouloud Sehaki : Je suis suis originaire du village Aït Abdelmoumène, dans la commune de Tizi N’Tleta. J’ai 27 ans. Je suis titulaire d’une licence en langue et culture amazighes obtenue à l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou. J’ai été à un certain moment enseignant de langue amazighe avant de reprendre les chemins de l’université pour poursuivre mes études (master1) toujours dans le domaine de la culture et langue amazighes. Je voudrais aussi préciser que j’ai toujours aimé lire et écrire surtout en Tamazight. ‘’Une poignée de devinettes’’ est mon premier livre, il y en aura d’autres si dieu nous prête main forte.
Racontez-nous comment vous est venue l’idée de faire ce recueil de devinettes en Tamazight ?
Pour moi, écrire en Tamazight est tout à fait naturel. D’abord, il s’agit de ma langue maternelle et c’est la langue que je maitrise le plus. Dans cette langue j’arrive à m’exprimer plus facilement et sans aucun souci. Cette langue occultée pendant des siècles méritent de sortir de l’anonymat et de se montrer au grand jour d’où le désir d’écrire. En écoutant la poésie berbère, spécialement celle du chanteur Aït Menguellet, et en étudiant sous la bannière d’éminents professeurs comme Kinzi Azzedine, l’idée d’écrire en Tamazight m’est venue tout naturellement. La finesse de la poésie d’Aït Menguellet et les encouragements de M. Kinzi m’ont mis sur ce chemin. C’est vrai que la tâche n’a pas été facile d’autant plus que notre culture a toujours été orale. Il fallait donc un travail de recherche minutieux et de longue haleine. Lors de la préparation de mon mémoire à l’université, j’ai eu à travailler sur le thème des devinettes berbères. Avec l’apport de mes collègues étudiants et celui de mes professeurs, j’ai accompli un grand travail que je n’ai finalement pas présenté car j’avais opté pour un autre sujet. Des années après, je me suis dit pourquoi ne pas revenir sur le sujet et le mettre à la disposition des lecteurs et surtout enrichir la bibliothèque berbère qui en a tellement besoin. C’est de cette manière que j’ai réussi à écrire ce livre.
Pourriez-vous nous en dire plus sur le contenu du livre ?
Ce livre de 65 pages est conçu d’une manière scientifique et dans le respect des normes de la littérature moderne. Il est préfacé par Rachid Alliche que je remercie au passage. Le sommaire, les sources, les outils, l’historique et l’utilité des devinettes sont largement détaillés. Pour ce qui est des devinettes, elles traitent de la maison Kabyle, des produits alimentaires, de la nature, des animaux, du corps humains, du quotidien et de la religion. J’ai aussi parlé des devinettes des Chaoui, des mozabites, des Targui, Des Chelhi et de Tarifit. C’est vous dire que le travail a été colossal. J’ai aussi déterminé les moments les plus appropriés pour jouer aux devinettes.
Quels sont, à votre avis, les objectifs escomptés à travers le jeu des devinettes ?
Autrefois, les berbères n’avaient point d’école. Leur seule école était lorsque, pendant les longues nuits d’hiver, ils se retrouvaient autour du Kanoun. C’est là que les parents éduquaient leurs enfants, leur transmettaient leurs expériences et leur savoir et c’est à cette occasion aussi qu’ils les poussaient à faire des efforts de mémorisation et de réflexion. Les histoires, les proverbes et la poésie. Et les devinettes étaient également proposées aux enfants. Celles-ci sont justement conçues pour inciter les enfants à l’effort de réflexion tout en créant la compétition entre eux. C’est une belle manière de faire travailler leurs neurones et d’enrichir leur vocabulaire.
Ces dernières années, les lecteurs comme les écrivains se font rares. Quelles solutions préconiser vous pour y remédier ?
Il est tout à fait clair que la situation est loin d’être satisfaisante de ce côté-là. Les gens ne lisent et n’écrivent que rarement. Le monde a beaucoup changé, l’électronique prévaut à tous les niveaux. C’est bien dommage et bien grave pour toute la société. Les librairies, les espaces de lecture et de culture cèdent la place aux Fast-foods, aux pizzerias et maintenant aux cybercafés. A mon humble avis, il faut habituer les petits à la lecture et à l’écriture depuis leur plus tendre enfance, car comme dit l’adage : qui lit tout petit, lit toute la vie. En ce qui nous concerne, nous le berbères, nous devons fournir plus d’efforts car nous avons un grand retard à rattraper et devons nous faire une place dans ce monde. Pour cela, nous nous devons d’apprendre notre langue, l’aimer véritablement et nous mettre à la lire et à l’écrire pour garantir sa pérennité et sa promotion. Il faut rapidement passer aux choses sérieuses : la production ! Tamazight a besoin de l’apport de tous ses enfants.
Nous vous laissons le soin de conclure…
Je rends un grand hommage à mon professeur Kinzi Azzedine ainsi qu’à Rachid Alliche et à mon éditeur. Je dirais que la nature a horreur du vide. Notre culture a toujours été à vocation orale, c’est un miracle qu’elle ait été préservée. A présent, avec la modernisation et les nouvelles technologies qui ne laissent aucune chance de survie à l’oralité, nous devons inévitablement produire si nous voulons vraiment garder notre culture et notre identité plusieurs fois millénaires. Nous appelons, et continuerons toujours à le faire, à l’officialisation de notre langue pour qu’elle puisse retrouver son statut dans ce pays qui est le sien. Pour terminer, merci à votre quotidien pour l’intérêt qu’il accorde à la promotion de cette langue et aux jeunes écrivains.
Article de : Hocine Tayeb
Paru dans LaDépêchedeKabylie le 27 aout 2014
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